Cet article invité a été rédigé par un étudiant dans le cadre de l’UE Veille du parcours de M1 Humanités et Industries Créatives option Journalisme culturel de l’université Paris Nanterre.
Depuis la fin des années 2000, le numérique a fait son entrée dans les opéras, apportant avec lui de nombreuses nouvelles perspectives d’évolution.
Longtemps considérée comme l’une des formes d’art vivant les plus immuable, l’opéra a lui aussi été un grand bénéficiaire de la révolution numérique. L’immiscion des nouvelles technologies apparaît, pour certains, comme l’un de ses plus grands bouleversements depuis… l’arrivée de l’électricité à la fin du XIXe siècle.
L’opéra, comme si on y était
Mardi 2 juin 2009. Alors que la foule s’installe dans les travées de l’Opéra de Rennes pour assister à la dernière représentation du Don Giovanni de Mozart, mis en scène par Achim Freyer, quelques techniciens du laboratoire Orange Labs se pressent sur scène afin de régler les derniers détails d’un dispositif unique en son genre. Par l’intermédiaire de caméras
placées d’une certaine façon “reproduisant” la vision humaine (la stéréoscopie), ainsi que de microphones capturant un son tridimensionnel, des spectateurs situés dans les cinémas participants (La Carène à Brest, La Géode à Paris ou Le Capitole Studios à Avignon) s’apprêtent à vivre une expérience nouvelle : l’opéra diffusé à distance, en direct et en trois dimensions, comme s’ils y étaient. Pour Alain Surrans, directeur de l’Opéra de Rennes interrogé par Ouest France en 2016, c’est “ une première mondiale ”. C’est aussi une des avancées permises par l’arrivée du numérique dans l’art lyrique. L’expérimentation sera reproduite, notamment avec le programme Opérabis (2010), visant à diffuser les œuvres d’une saison culturelle en ligne et en trois dimensions sur Internet. L’évolution “ultime” semble alors être l’opéra immersif, permis grâce à l’arrivée de la réalité virtuelle pour le grand public, offrant au spectateur la sensation de se balader au sein même de la scène, dans une immersion quasi-totale. Citons par exemple Fosse, collaboration entre le plasticien
Christian Boltanski, le compositeur Franck Krawczy et le scénographe Jean Kalman, qui se tenait en janvier 2020 dans… le parking du Centre Pompidou.
Cette “délocalisation” de l’opéra offerte par le numérique pose alors de nouvelles questions autour de sa diffusion, mais aussi autour de son public. Considéré par beaucoup comme un milieu élitiste et confronté au défi du manque de renouvellement de ses spectateurs, favoriser son accès, notamment en ciblant la jeune génération, plus susceptible de faire
appel aux nouvelles technologies, permet d’envisager plus sereinement son futur.
Une nouvelle vision de la création scénographique
Bien évidemment, l’arrivée des nouvelles technologies ne bénéficie pas qu’aux opéras-lieux eux-mêmes. C’est aussi un nouvel enjeu dans le processus créatif des scénographes. Comme ce qui se fait déjà depuis quelques années dans la musique, la danse ou le théâtre, les arts numériques ont petit à petit conquis les planches des scènes et les travaux des artistes. On ne s’attendait pas à voir le célébrissime Massachusetts Institute of Technology comme étant un précurseur de ces évolutions. Et pourtant, c’est au sein de son département Media Lab qu’est né “l’opéra du futur”. Créé en 2010 et interprété pour la première fois à Monaco, Death and the Powers , de Tod Machover, met en scène, devant un décor composé
de panneaux LEDs, des robots-choristes qui se déplacent librement sur scène.
Quelques années plus tard, en 2017, Arnaud Petit fait cohabiter dans I.D une choriste en chair et en os et son “double virtuel”, auquel a participé l’IRCAM. Le premier opéra totalement numérique nous vient du Japon. Présenté en France, au théâtre du Châtelet, en 2013, Hatsune Miku est ce que l’on appelle un vocaloid, l’association d’un hologramme et d’un logiciel de synthèse vocale. Un personnage de jeune adolescente aux cheveux bleus,
totalement virtuel, “chante” pendant près d’une heure et demie devant un public quelque peu interloqué. Le numérique permet aussi un renouveau de la scénographie. L’utilisation de plateformes multimédias offre en effet une créativité quasiment illimitée, notamment dans ce qui est de la contrainte physique. Écrans vidéos diffusant montagnes et autres décors de
plein air, panneaux constitués de LEDs à couleur changeant selon le moment de la pièce, logiciels de création en trois dimensions ( Everest , de The Dallas Opera), lasers, impressions 3D de décors ( Fra Diavolo, de Daniel-François-Esprit Auber)… Tous ces éléments constituent ce que l’on appelle aujourd’hui “le spectacle augmenté”. Un spectacle qui casse les frontières entre arts visuels, arts scéniques et arts numériques. On attend avec impatience la prochaine évolution.
Jules Vandale